Point de vue Février 2023

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Les Outre-mer entre paradoxes et combativité

Non-lieu indigne au verdict du procès du Chlordécone, réinvestissement militaire du Pacifique et de l’océan Indien, rentrée parlementaire des élus ultramarins délocalisée en Guyane ou encore cafouillage autour de la création du drapeau martiniquais… L’actualité politique de ce début d’année donne bien le ton d’une période de paradoxes et de combativité qui s’ouvre pour les Outre-mer !

Quel est cet étonnant paradoxe qui fait des Outre-mer une zone soumise aux plus flagrantes injustices et, dans le même temps, un enjeu stratégique majeur pour la France ? Comment expliquer qu’au moment où le Tribunal de Grande instance de Paris absout les responsables de l’empoisonnement au Chlordécone dans les Antilles, l’État décide de réinvestir ses territoires du Pacifique et de l’Océan indien jusque-là plutôt délaissés par le pouvoir central ? Ces problématiques viennent ainsi s’ajouter aux questions plus pérennes du coût de la vie et du chemin vers l’Égalité réelle. La rentrée parlementaire délocalisée en Guyane s’annonce d’ores et déjà, sinon explosive, du moins combative.

Chlordécone : le non-lieu du déni étatique

Après tant d’années de combats judiciaires pour faire reconnaître comme crime d’État l’empoisonnement au Chlordécone des populations de Guadeloupe et de Martinique, la Justice a rendu son verdict définitif : le non-lieu. La souffrance des victimes, la mort d’enfants, de femmes et d’hommes, les rapports d’expertise des scientifiques sur l’extrême dangerosité du pesticide utilisé par les grands noms de l’industrie agroalimentaire, rien n’y aura fait ! L’État légitime son irresponsabilité. Comment ne pas souligner ce paradoxe qui consiste à priver d’emploi des centaines de professionnels des milieux médicaux ou hospitaliers au prétexte que leur non-vaccination comporterait un risque majeur pour la santé publique et, dans le même temps, à nier les ravages sanitaires causés par l’emploi d’un pesticide interdit ? Comment, après tout cela, imaginer qu’un contrat de confiance entre le discours institutionnel hexagonal et les populations des territoires puisse encore fonctionner de manière sereine et harmonieuse ? Les élus du peuple n’ont d’ailleurs pas dit leur dernier mot à ce sujet. Sur les bancs de l’Assemblée, le député martiniquais Jiovanni William et son homologue guadeloupéen Olivier Serva ont dénoncé cet état de fait et l’injustice flagrante qu’il constitue. De leur côté et au niveau local, les maires des principales agglomérations insulaires se sont, eux aussi, réunis pour proclamer leur indignation face à cette absence de reconnaissance d’un traumatisme dont beaucoup de leurs compatriotes vivent encore les séquelles.

Quand l’Outre-mer (re-)devient stratégique…

Face aux nouveaux risques grandissants de tension internationale entre les grandes puissances, il semble bien que les Outre-mer soient appelées à reprendre leur rôle d’avant-postes stratégiques. A l’occasion de la présentation de la nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030 qui s’est déroulée sur la base de Villacoublay à l’occasion des vœux présidentiels aux armées, Emmanuel Macron a annoncé un réinvestissement massif du Ministère de la Défense dans les territoires du Pacifique et de l’Océan indien. Outre la dissuasion nucléaire, les capacités cyber et quantiques, le renseignement militaire et l’intelligence artificielle, de nouveaux investissements supplémentaires en termes d’équipements et d’effectifs seront ainsi déployés dans l’archipel polynésien et à la Réunion. Il est heureux de constater que l’Hexagone redécouvre enfin, à la lumière de cette tragique marche à la guerre, l’importance de ces territoires ultrapériphériques. Reste cependant à espérer que cet engagement de l’État sera plus propre qu’il ne l’a été à l’époque des tristements célèbres essais nucléaires à Mururoa !

Rallier la bannière (martiniquaise)… ou pas

Autre curieuse histoire ultramarine oscillant entre paradoxe et combativité : celle de la genèse de ce qui est prochainement appelé à devenir le drapeau martiniquais ! A l’origine, cette initiative de la Collectivité Territoriale de Martinique partait d’un bon sentiment et était destinée à pourvoir l’île d’un drapeau officiel derrière lequel tous les Martiniquais pourraient se rassembler avec fierté. Mais alors que l’heureuse gagnante de l’appel d’offre avait remporté les suffrages avec une bannière constituée des 3 couleurs de l’île (rouge, noir et vert) sur lesquelles se superposait un joli colibri, cette dernière a subi une levée de boucliers d’une rare violence cybernautique. Devant ce harcèlement numérique critiquant la naïveté du design et le manque d’ancrage culturel de la création, Anaïs Delwaulle s’est finalement retirée, laissant place au second lauréat qui n’est autre que… le drapeau indépendantiste qui accompagne depuis tant d’années les joies et les peines d’un peuple en lutte. Nul doute que l’adoption finale de cette bannière aussi sentimentale que politique, les 2 et 3 février, n’a pas fini de faire parler dans les chaumières… et sûrement jusque dans les couloirs de l’Assemblée nationale !

Une rentrée parlementaire en forme d’avertissement

Après une année 2022 dont le résultat des élections a donné le ton de la combativité ultramarine, la rentrée parlementaire des élus des Outre-mer est donc l’occasion de réaffirmer leur volonté d’être entendus et de faire bouger les choses. Abandonnant la tradition classique du retour à l’Hémicycle parisien, les députés de tous les territoires ont préféré se réunir à Cayenne en Guyane pour annoncer les grands axes politiques de leur action pour l’année à venir. Loin d’être anodine, cette délocalisation assumée est la preuve d’une mobilisation accrue et toujours plus importante. Elle réaffirme le fait que le destin des Outre-mer ne se joue pas que sur les bords de la Seine mais bien aux quatre coins du monde et que cela fait toute la richesse et la force de ces régions ultrapériphériques. Cette réunion transpartisane se veut avant tout un signal historique. Il s’agit pour les représentants du peuple de « chasser en meute » afin de parvenir à dépasser les clivages et l’opposition artificielle que les gouvernements successifs se plaisent à générer au sein de la communauté ultramarine. Comme le soulignent les co-déclarants, le temps n’est plus aux « rapports » et aux « livres » blancs, verts ou bleus. Le temps est venu de passer du stade de la réflexion au stade de l’action afin de rassembler toutes les forces aujourd’hui disséminées sur les trois océans afin de gagner l’opinion publique nationale et peser plus fortement et durablement dans le jeu politique.

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