POINT DE VUE – DECEMBRE 2022

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Face aux inégalités persistantes entre l'Hexagone et les territoires d'Outre-mer, les élus se rassemblent pour peser et réclamer les évolutions nécessaires.

Certaines choses ne changent pas. Les disparités sociales et économiques entre l'Hexagone et les territoires d'Outre-mer sont toujours aussi criants malgré les déclarations de bonne volonté du pouvoir en place nouvellement réélu. Il faut dire que les exemples d'injustices ne manquent pas ces derniers temps.

 

DES PRIX QUI S'ENVOLENT...

Le coût de la vie a toujours été plus important dans les territoires des Outre-mer que dans l’Hexagone. Avec l’inflation et les pénuries énergétiques, les prix des produits et des services ont explosé, rendant la vie des ultramarins encore plus compliquée. Après l’alimentation et les équipements, ce sont maintenant les frais postaux de dédouanement qui connaissent une hausse dû à un règlement nouvellement appliqué par la poste. Qui vient s’ajouter aux autres taxations comme la TVA ou l’octroi de mer. Cette envolée générale des prix affecte également les transports aériens qui ont presque doublés, contribuant à isoler encore plus ces territoires lointains, souvent délaissés. Ici, point de bouclier tarifaire… Les ultramarins, généralement privés de leur famille restée de l’autre côté de l’océan, devront payer l’addition au prix fort pour pouvoir revoir leurs proches.

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LE CRI DE DÉTRESSE DE MAËLLE...

Synthèse malheureuse de toutes ces problématiques, un témoignage récemment publié sur les réseaux sociaux a ému toute la France, loin de se douter de cette disparité entre les Français des territoires et ceux de l’hexagone. Il s’agit de l’appel désespéré lancé par Maëlle, une jeune étudiante réunionnaise de SciencePo Paris en Erasmus à Berlin. Dans son appel à l’aide sur TikTok, la jeune fille, profondément affectée, explique les difficultés financières qu’elle rencontre à la suite de la diminution progressive et régulière de sa pension étudiante revue considérablement à la baisse au prétexte que ses parents travaillent à Mayotte et donc, bénéficient de rémunérations censées être plus élevées. En réalité, seule sa mère occupe un emploi et la réévaluation salariale ne fait qu’à peine compenser la hausse du coût de la vie tant décrier par les élus et la population. « La vie chère ne devrait pas être enlevée sur ma bourse… », s’indigne la jeune fille. Nous nous indignons avec elle de cette injustice flagrante et de l’indifférence administrative des autorités nationales en charge de ces questions.

 

LE CONSTAT ACCABLANT DE SERGE LETCHIMY

M. Serge LETCHIMY, Actuel Président du conseil régional de la Martinique, député de 2007-2021, Président du conseil régional de 2010-2015, Maire de Fort de France de 2001-2010.

Dans son adresse prononcée lors du dernier Congrès des élus de Martinique, Serge Letchimy, le président de la Collectivité territoriale, a dressé un constat sans appel, factuel et chiffré, de l’état de dégradation socio-économique de l’île et de sa population. Prenons le temps de l’écouter pour prendre conscience de l’urgence de la situation. « En 16 ans, la Martinique a perdu 12 % de sa population. La Martinique ne renouvelle plus naturellement sa population. Il y a plus de décès que de naissances. La part des jeunes actifs est passée de 46 % en 2010 à 37 % en 2020. 27,4 % des martiniquais vit sous le seuil de pauvreté, soit 88 835 personnes. 40 % des logements sont soit sans eau, soit sans électricité. Le coût de la vie, notamment de l’alimentation, est plus cher en moyenne de 38 % par rapport à l’Hexagone et le coût des abonnements téléphoniques et d’Internet de 31,4 % plus élevé. 24 homicides depuis le 1er janvier 2022 dont 19 par armes à feu. La Martinique est devenue, sans conteste, une des premières plateformes de trafic d’armes et de drogue des Amériques et de l’Europe. 20 % de la population à Fort-de-France vit sans titre de propriété depuis plus de 50 ans. Ce qui fait d’eux, malgré les efforts réalisés par la ville de Fort-de-France, des citoyens de seconde zone privés de droits et de dignité liés à la propriété. C’est encore pire dans les anciennes habitations coloniales où des générations sont figées sur les terrains des anciens maîtres depuis 135 ans et n’ont aucun titre de propriété. Les traces de l’injustice coloniale sont encore très visibles en 2022. 80 % de ce que nous importons nous vient de l’extérieur et notre économie est soumise, tant sur le plan agraire que sur le plan de la production et de la consommation, au dogme de la monoculture primaire ou au système de monopole. Nous échangeons et n’exportons que peu avec notre proximité géographique, moins de 2 % de notre activité commerciale. »

 

 RÉAGIR POUR RÉPONDRE À L'URGENCE DU QUOTIDIEN

Si l’on souhaite retrouver une égalité de traitement avec l’Hexagone, la première étape à viser est évidemment l’harmonisation du coût de la vie. Au sein du groupe LIOT et avec le soutien d’autres partis de l’opposition, les parlementaires tentent d’organiser un rapport de force afin d’imposer les mesures nécessaires à ce rétablissement d’égalité. 

Le député de Guadeloupe Olivier SERVA est ainsi monté au créneau pour exiger une révision des tarifs postaux à travers une proposition de loi destinée à supprimer les différences de prix entre l’Hexagone et les territoires des Outre-mer au nom de «l’entorse à l’universalité du service postal ». Il fait également partie de ceux qui ont participé à la passe d’arme verbale qui s’est déroulée à l’Assemblée nationale dans la nuit du 24 au 25 novembre dernier à l’occasion de la présentation d’un projet de loi proposant la réintégration des soignants non-vaccinés.

 

Le sénateur Dominique THÉOPHILE a fait adopter un amendement portant sur la hausse du montant de l’imposition à laquelle est soumise la centrale géothermique de Bouillante. Enfin ! plus de bénéfices pour la commune de Bouillante en Guadeloupe.

Le député de la première circonscription de Martinique, Jiovanny WILLIAM est bien décidé à se battre contre les prix des billets d’avion. Il a rencontré une délégation de députés européens afin de tisser un réseau de travail permettant de traiter de nos problématiques en tant que territoire insulaire et région ultra périphérique (RUP). Il a annoncé travailler avec son collègue Jean-Félix ACQUAVIVA Député Corse, qui a permis d’instaurer, lorsqu’il était conseiller exécutif de la Collectivité de Corse, un prix plafonné des billets d’avion à destination de l’Hexagone pour tous les résidents corses.

 

« Il n’y a aucune justification possible au fait que la continuité territoriale ne soit accordée qu’à la Corse ! »

A-t-il dit

BOUCLIER... TARIFAIRE

Autre mesure encourageante qu’il serait bon d’élargir à tous les territoires : le BQP + ou « Bouclier Qualité Prix + ». Signé le 18 novembre dernier par la Région Guadeloupe sous l’égide de son président Ary Chalus avec les représentants des grandes ou moyennes surfaces et les opérateurs téléphoniques, cet accord vise à une modération globale des prix des produits de grande consommation. Lorsque l’on sait la part des importations de l’archipel caribéen, on comprend l’impact de ce genre de mesure sur les budgets des familles qui ont été touchées de plein fouet par l’inflation galopante (jusqu’à 6,4% d’augmentation d’indice des prix en Guadeloupe). Ce bouclier tarifaire censé assurer un bon rapport qualité-prix sur une liste d’une centaine de produits de grande consommation est réelle une avancée dans la lutte contre l’inégalité économique subie par ces territoires éloignés de l’Hexagone. Il serait d’ailleurs bon que cette initiative puisse se généraliser au-delà de la Guadeloupe.

VERS UNE RÉFORME INSTITUTIONNELLE

Si ces initiatives sont louables et à saluer, vont-elles véritablement et durablement améliorer, le quotidien des Ultramarins. Dans la conclusion de l’adresse déjà citée précédemment, Serge Letchimy se tourne résolument vers l’avenir : « Nos misères sont terribles, mais nos atouts sont immenses ! Sur la terre natale de Césaire, de Glissant et de Fanon, nous devons croire en nous-mêmes, penser et agir par nous-mêmes et trouver en nous-mêmes les moyens de faire face aux grands défis qui nous attendent. Et, nous pouvons déjà commencer par nous mettre d’accord sur cette nécessité majeure : le statu quo est impossible. » Pour que les choses puissent profondément et durablement changer, beaucoup pensent avec lui qu’une réforme des institutions est désormais inévitable. Pour donner suite à l’appel de Fort-de-France du 17 mai dernier, une Délégation sur l’évolution institutionnelle des Outre-mer est actuellement en discussion. À la tête du groupe parlementaire ultramarin, les élus polynésiens semblent bien décidés à mener le combat de l’autonomie au cœur de l’institution législative afin que soit octroyé aux Outre-mer un statut plus enclin à garantir le respect et l’égalité des droits.

SERGE LETCHIMY

Et, voici cet effarant paradoxe : nous sommes lamentablement étrangers à notre géographie cordiale alors que la Caraïbe est de toute évidence notre berceau identitaire et notre famille première. Je vous le dis comme je le pense : il nous faudra regarder ce diagnostic terrible dans tous ses détails pour être conscient de l’État dans laquelle notre pays devra affronter dans les 20 ans qui viennent les catastrophes annoncées du changement climatique, les incertitudes très inquiétantes dans un monde qui se mondialise. Face à un tel drame potentiel, pourrons-nous nous contenter de toutes ces fatalités et d’un cercle infernal sur lequel nous n’aurions aucune maîtrise ? Au-delà du courage et de la pensée, de l’opinion que tout un chacun a le droit et le devoir d’exprimer, a-t-on le courage de considérer, de faire prendre conscience autour de soi de cette vérité ? Peut-on influer directement sur ce mal-être structurel, permanent et historique, et déconstruire ce mal social, ce mal développement qui mine le pays ? Pouvons-nous abandonner les vieilles routes pour en inventer de nouvelles ?

 

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