K’s Point de vue : Critiquer le pouvoir ou pouvoir critiquer ?

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L’agence K’s revient sur la sanction infligée à la journaliste de RCI Guadeloupe Barabara Olivier-Zandronis suite à son interview de Jordan Bardella, le 8 décembre dernier. Le 8 décembre dernier, à l’occasion de son journal de 13h, Radio Caraïbes International (RCI) Guadeloupe recevait Jordan Bardella, président du Rassemblement national. En charge de l’interview, Barbara Olivier-Zandronis, présentatrice du 13h depuis le mois de septembre, interroge le représentant de Marine Le Pen avec pugnacité et sens de l’investigation. Confronté aux incohérences de son propre discours et interrogé sur des sujets qu’il ne maîtrise pas, Jordan Bardella s’est vite positionné en victime agressée et agressive,

allant jusqu’à accuser la journaliste d' »être encartée » à Gauche, remettant ainsi en cause son impartialité et son professionnalisme. Contre toute attente, la réponse de la direction de RCI a été sans équivoque : Barbara Olivier-Zandronis a été immédiatement suspendue d’antenne, sanctionnée pour crime de lèse-majesté.

D’abord étouffé et ignoré par les médias hexagonaux, ce qui prend la forme d’un véritable scandale politico-médiatique a fini par embraser les réseaux sociaux, en particulier, ultramarins. Pétitions et articles se sont multipliés sur le web et la journaliste a également bénéficié de nombreux soutiens au sein de la classe politique. Le 9 décembre, cinq parlementaires parmi lesquels les députés Olivier Serva, Élie Califer et Victorin Lurel ont d’ailleurs publié une lettre de soutien en sa faveur afin de donner à l’affaire un écho national et de demander sa réintégration à l’antenne.

Alors, bien sûr, face au tollé provoqué par cette décision inique, Hervé de Haro et la direction de la radio justifient la sanction en la qualifiant d' »affaire interne ». Mais, dans la sphère publique, comment « une affaire interne » peut-elle encore le rester de nos jours ? On ne peut pas être naïf à ce point ! Chacun sait bien à qui appartient RCI. Derrière les directeurs d’antenne se dressent des pouvoirs politiques et financiers tentaculaires dont on connaît les accointances avec les partisans d’Éric Zemmour autant qu’une certaine tendance à la sympathie pour une droite un peu extrême. En faisant son travail de journaliste, en allant chercher les contradictions au cœur même du discours lissé du président du RN, Barbara Olivier-Zandronis a dérangé. Il faut dire que le RN a longtemps été jugé infréquentable. Mais voilà qu’entre-temps, le parti fondé par Jean-Marie Le Pen en 1972 et rebaptisé en 2018 est devenu le deuxième parti d’opposition du pays, remportant un gros succès électoral dans les départements antillais aux dernières Présidentielles. De quoi faire réfléchir les acteurs locaux de l’information… Au-delà de son aspect choquant, ce fait divers

médiatique nous invite à nous interroger sur la frontière ténue entre information et politique, en particulier dans les Outre-mer. Un journaliste de France Télévision aurait-il vraiment subi le même sort ? La France périphérique serait-elle devenue un terrain de jeu pour des partis politiques en campagne qui les considèrent comme une chasse gardée ?

Les Français des Outre-mer n’ont-ils pas, eux aussi, droit à une information de qualité, impartiale et qui aurait gardé toute sa force d’investigation ? Si les questions de la journaliste étaient certes exprimées de manière ferme, peut-être trop, le fond de son questionnement apparaît plus que jamais d’actualité. On se trouve donc là face à un véritable procès d’intention instrumentalisé au profit d’une force politique jugée comme ascendante. A la suite de l’AJAR (l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s)…

…et de son communiqué de presse publié le 11 décembre, nous posons et nous nous posons la question suivante : a-t-on encore le droit d’être un journaliste face au RN ?

Est-il encore permis de poser des questions – même celles qui fâchent – au responsable politique de ce parti ? Dans un entretien donné au site « Arrêt sur images », Barbara Olivier-Zandronis s’« inquiète pour l’avenir, pour la liberté de la presse et des journalistes » et nous nous inquiétons avec elle, en particulier pour la liberté d’expression dans les Outre-mer !

Après un tel incident de carrière, la journaliste guadeloupéenne risque de n’avoir que deux options qui s’offrent à elle : disparaître à jamais d’un paysage audiovisuel au garde à vous ou être condamnée à se positionner en « franc-tireur » du système. Quelle qu’en soit l’issue, nous lui souhaitons un nouveau départ pérenne et résilient ! Car gageons que tout n’est peut-être pas perdu pour la liberté d’expression dans les Outre-mer. Espérons que 2024 sera une année de combativité et de renouveau pour le journalisme ultramarin !

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