
FANON Critique – Un film magistral qui bouscule l’histoire
Je reviens juste d’une des projections presse. Sa sortie est prévue le 2 avril.
Il y a des films qui ne se contentent pas de raconter une histoire, mais qui vous percutent, vous secouent, vous laissent pantelant dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Celui-ci en fait partie.
Je suis sortie bouleversée, les larmes aux yeux, la gorge nouée. Impossible de détacher mon esprit de ce que je venais de voir. Ma voisine de siège, figée, les mains jointes, était dans le même état. Je lui ai posé la main sur le genou, comme pour lui dire : oui, moi aussi, je ressens cette douleur. Au moment de quitter la salle, j‘aperçois un des comédiens, celui qui joue le capitaine. Il est en larmes et quelqu’un me dit : « Oui, c’est la première fois qu’il voit le film ». » Dehors, c’est Alex Monfort qui brise le silence : « C’est un film exceptionnel. Je le dirai, je ferai de mon mieux. »
Mais est-ce que les médias en parleront ? Ce film raconte un pan de l’histoire de France, celui que l’on balaie sous le tapis. Oseront-ils encore dire que nous critiquons notre pays?
La mise en scène est d’une puissance rare. Le montage, précis et implacable, joue sur les silences qui résonnent aussi fort que les dialogues. La photographie capte l’indicible : la douleur, la rage, l’inhumanité. Ce film établit un parallèle percutant entre la colonisation en Martinique et en Guadeloupe, que nous avons subie et acceptée, et celle de l’Algérie, que son peuple a refusée. De Sartre à Césaire, les références littéraires et philosophiques jalonnent le récit avec une intelligence rare. La place des femmes dans cette lutte pour la liberté est mise en lumière avec une justesse saisissante.
Le poids du racisme, l’héritage colonial et les blessures psychologiques qu’ils ont engendrées sont omniprésents. C’est un film qui convoque les travaux de W.E.B. Du Bois et de Frantz Fanon. Il y a même un clin d’œil bien créole à la tradition du crabe, et dans un tableau représentant une mangrove, on perçoit le rhizome de Édouard Glissant.
Ce film est nécessaire. Il prouve que la mémoire et l’Histoire ne sont pas figées, mais qu’elles doivent être racontées, transmises, assumées. Son réalisateur a traversé un parcours semé d’embûches, jonglant entre les exigences des producteurs et la nécessité de ne pas trahir sa vision. Il y est parvenu, avec force et intégrité.
Et il nous rappelle une chose essentielle : Maghrébins, Juifs et Noirs ont combattu ensemble. Pourtant, aujourd’hui, les médias s’acharnent à nous opposer, à réécrire l’histoire de France pour effacer leur contribution. Leur rôle dans la Shoah, dans la colonisation, est volontairement éclipsé. Quant à nous, Antillais, nous sommes dépossédés sous les regards méprisants de ceux qui pensent que nous ne voyons rien. Mais nous savons. Nous voyons.
Parce que ce film, c’est un cri. Un cri pour la mémoire. Un cri pour l’Histoire. Un cri pour l’humanité.
Article rédigé par Keyza NUBRET