EDITO CULTURE : « A la Culture des Outre-mer, la patrie reconnaissante… »

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Consécration d’Euzhan Palcy et de Patrick Chamoiseau ou retour sur la carrière exemplaire de Gaston Monnerville, un vent de reconnaissance nationale semble souffler sur les talents des Outre-mers. De leur côté, musées hexagonaux et institutions culturelles s’affairent à promouvoir le Patrimoine ultramarin de Nantes jusqu’à La Réunion.

 

« En mai, fais ce qu’il te plaît ! ». Ou plutôt, assume ce que tu es ! C’est le meilleur moyen de s’affirmer et d’obtenir l’attention et la reconnaissance de ceux qui, d’habitude, sous-estiment l’immensité des talents issus des Outre-mer dans les domaines les plus variés, de la recherche scientifique aux arts. Et justement, en ce mois de mai, les célébrations et les récompenses pleuvent sur les artistes, auteurs et cadres culturels ultramarins.

Les Outre-mer à l’honneur dans les plus hautes institutions de l’État

Ancien directeur du Centre Tjibaou à Nouméa et premier Calédonien à prendre la tête d’un grand musée de l’Hexagone, Emmanuel Kasarhérou vient d’être reconduit dans son poste de président du Musée du Quai Branly qu’il occupe depuis 2020. De la direction du Musée territorial de Nouvelle-Calédonie à son intégration à l’équipe du Musée du Quai Branly en 2011, la qualité de sa gestion des collections et de la politique événementielle a toujours fait l’unanimité. Plus qu’une simple preuve de confiance, c’est une reconnaissance indiscutable et officielle du travail acharné de ce passionné d’archéologie pour la conservation et la diffusion du Patrimoine extra-européen et bien sûr, Kanak.

 

Autre grand nom de la Culture des Outre-mer à recevoir une reconnaissance nationale, la cinéaste martiniquaise Euzhan Palcy vient de recevoir la médaille de l’Assemblée nationale des mains du député de la 1ère circonscription de Martinique, Jiovanny William. Cette consécration récompense son inlassable combat cinématographique contre le Racisme devenu une source d’inspiration pour toute une génération de cinéastes et de comédiens afro-descendants français et américains marqués par ses inoubliables films comme « Rue Cases-Nègres » en 1983 ou « Une saison blanche et sèche », adaptation hollywoodienne du roman d’André Blink en 1989. Après son Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière reçu à Hollywood en novembre dernier, cette cérémonie en présence de Yaël BRAUN-PIVET, présidente de l’Assemblée nationale, est un geste hautement symbolique d’une représentation nationale enfin décidée à faire entrer cette incontournable figure de la Culture ultramarine dans le cercle très fermé des artistes français qui comptent.

Ambassadeur de la Culture martiniquaise et auteur d’œuvres cultes comme Chronique des sept misères, Texaco ou J’ai toujours aimé la nuit, Patrick Chamoiseau vient, quant à lui, de recevoir, le 9 mai dernier, le prix littéraire Marguerite Yourcenar décerné par la SCAM (la Société Civile des Auteurs Multimédia). Succédant à Marie N’Diaye et Annie Ernaux, ce chantre de la Créolité se voit ainsi honoré d’une nouvelle reconnaissance du monde littéraire national.

Écrire l’Histoire pour mieux la faire (re-)connaître

En ce mois de mai commémoratif pour tous les ultramarins, la reconnaissance au présent passe toujours par celle du Passé. En première ligne de la transmission mémorielle, les écrivains des Outre-mer ou de la diaspora savent saisir à bras le corps ce devoir de mémoire. Avec « L’Esclavage raconté aux enfants« , son dernier essai historique à destination du jeune public publié chez La Martinière Jeunesse, Frédéric Régent signe l’un des ouvrages de vulgarisation les plus intéressants et complets de ces dernières années. Fort de son outillage universitaire et pédagogique, ce maître de conférences en Histoire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au sein de l’Institut d’Histoire de la Révolution française et de l’Institut d’Histoire Moderne et contemporaine propose une étude synthétique et très richement illustrée du Commerce triangulaire, de ses origines, du quotidien inhumain des esclaves ainsi que des luttes abolitionnistes. Accessible au néophyte et parfait pour ceux qui souhaitent réviser leur Histoire, son livre est d’ores et déjà un incontournable de la littérature historique consacrée à ce sujet.

Le domaine de la fiction n’est d’ailleurs pas en reste. En témoigne le premier roman de Sébastien Mathouraparsad : « Le chant du fromager » publié chez L’Harmattan dans la collection « Lettres des Caraïbes« . L’auteur guadeloupéen, par ailleurs maître de conférences en économie à l’Université des Antilles, remonte le temps pour suivre le destin de Djabi, un jeune Africain arraché à ses terres natales pour être déporté dans une plantation en Guadeloupe. A travers la métaphore du fromager (arbre typique de la Caraïbe auquel se pendaient les esclaves voulant mettre fin à leur souffrance), Sébastien Mathouraparsad brosse un portrait sans fard et minutieusement documenté de l’enfer colonial vécu par les captifs et de leur aspiration à s’en émanciper, même par la révolte et la violence.

Gaston Monnerville à la Fondation Clément

De mémoire, mais politique cette fois-ci, il en est aussi question à l’occasion de l’exposition événement que consacre la Fondation Clément, haut lieu de la Culture en Martinique, à Gaston Monnerville : « Gaston Monnerville, une dignité républicaine ». Né en Guyane de parents martiniquais, ce brillant avocat, résistant et homme politique puis d’État occupa la fonction de président du Sénat de 1947 à 1968, soit pendant plus de 20 ans. Tout au long d’un parcours présentant des archives conservées au Sénat et à la Fondation nationale des sciences politiques, des documents sonores ainsi que des archives télévisuelles de l’INA, cette exposition permet de redécouvrir ou de mieux connaître cette personnalité ultramarine de premier plan progressivement tombée dans l’oubli. A travers le destin de ce petit-fils d’esclave devenu le numéro 3 des instances républicaines et un membre de l’éminent Conseil constitutionnel, c’est surtout le combat d’un homme engagé et épris de liberté, d’égalité et de fraternité qui se déploie aux yeux des visiteurs. Comme un modèle à suivre en se disant qu’avec de la volonté, tout reste possible.

 

Barthélémy Toguo décolonise le Musée de Nantes...

Le mois dernier, nous évoquions « Programme de désordre absolu – Décoloniser le Musée ! », le dernier essai de Françoise Vergès sur l’influence du regard colonial au sein de l’institution muséographique française. Comme pour prolonger cette réflexion, le Musée d’Art et d’Histoire de Nantes, situé dans le prestigieux Château des Ducs de Bretagne, propose la 3ème édition d’« Expressions décoloniales ». Partant du postulat de départ que tout récit historique est une construction, cette exposition d’Art contemporain africain a pour but de proposer au visiteur un autre point de vue sur les collections du musée et de le faire s’interroger sur son approche des œuvres. Cette année, c’est l’artiste camerounais Barthélémy Toguo qui est l’invité de la manifestation du 13 mai au 12 novembre. Né en 1967 et fondateur du centre culturel « Bandjoun Station », ce plasticien de renommée mondiale investit le parcours des collections permanentes du musée pour y présenter une vingtaine de ses œuvres ainsi que celles de plusieurs autres artistes originaires d’Afrique ou de sa diaspora qu’il souhaite faire découvrir au public hexagonal (le Martiniquais Jean-François Boclé, le Mozambiquais Moreira Chonguiça, la Brésilienne Rosana Paulino, la Congolaise Monica Toiliye et l’Américaine Kara Walker). Entre impératif mémoriel et créations abstraites, le travail de Barthélémy Toguo ouvre le dialogue entre les cultures et les œuvres, permettant ainsi au visiteur d’expérimenter une véritable « décolonisation » de sa pensée et de son imaginaire.

IKONE ou l’immersion dans le patrimoine iconographique de la Réunion

Répondant à l’appel à projet France Relance sur la transition numérique du Patrimoine, Lionel Lauret, artiste plasticien, Katy Hoarau, expert-comptable et Catherine Dostes, chef de projet, tous trois originaires de La Réunion, se sont associés pour porter le projet IKONE à La Réunion et en Outre-mer. Alors que se poursuit inlassablement la numérisation de l’Iconothèque historique de l’Océan Indien, la raison d’être de ce projet est de rendre accessible au plus grand nombre le patrimoine iconographique de La Réunion et des Outre-mer par un travail de mise en valeur artistique à travers des expositions immersives itinérantes (les IKONOMADES) puis, à terme, un musée (l’IKONOME). Premier jalon de cette aventure technologico-patrimoniale, l’exposition « Peuple infini », installée au Centre culturel La friche au Port jusqu’au 23 juin, est un voyage visuel incomparable dans les gravures, peintures et photographies racontant l’arrivée des différentes populations africaines, européennes, indiennes ou chinoises qui composent la créolité réunionnaise. De la nostalgie à la modernité, ce projet basé sur la notion d’identité promet de continuer à en mettre… plein la vue !

 

Coup de cœur :

Enfin, si l’envie vous prend de plus de légèreté et d’un peu de poésie dans ce monde de brutes, le nouveau spectacle du Circus Baobab, la célèbre compagnie rassemblant les 13 acrobates et danseurs guinéens finalistes de « La France a un incroyable talent », tombe à point nommé. En représentation au Théâtre La Scala de Paris jusqu’au 10 juin, leur nouveau spectacle « ! L’eau » est une spectaculaire et poétique évocation des rapports entre l’Homme et l’Eau, mêlant danses traditionnelles, hip-hop et acrobaties issues du cirque contemporain.

 

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