ÉDITO CULTURE :  » Chevalier : être ou ne pas être… visible ! »

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Dans ce biopic hollywoodien dédié au Chevalier de Saint-Georges, figure emblématique et compositeur afro-descendant de la Cour de Louis XVI, nous plongeons dans un récit captivant disponible sur Disney +. Ce film explore non seulement les réalisations extraordinaires du Chevalier, mais soulève également des questions sur l’interprétation américaine des faits historiques. De l’ambition brisée par le racisme à la représentation des personnalités des Outre-mer, nous revisitons les aspects socio-historiques et politiques qui entourent la diffusion de ce biopic. Alors que le film met en lumière des moments clés, il omet certains faits fascinants, nous amenant à réfléchir sur la visibilité des héros méconnus de l’Histoire de France

Les français des outre-mer en ont rêvé… les américains l’ont fait !

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Le biopic de Joseph BOLOGNE, mieux connu sous le nom du « Chevalier de Saint-Georges », fils illégitime d’un propriétaire de plantation et de son esclave, qui est devenu maître d’armes et compositeur de génie, est disponible sur la plateforme Disney + depuis le 18 juin. Interprété par Kelvin Harrison Jr., réalisé par Stephen Williams et scénarisé par Stefani Robinson, ce film produit par Searchlight Pictures explore un chapitre méconnu de l’histoire de France.

Américanisation forcée du chevalier !

Le film regorge d’anachronismes, mêlant souvent la cruauté des jeux de pouvoir aristocratiques à un système d’apartheid assumé et à l’esclavage pratiqué sur le sol américain.

En simplifiant le système esclavagiste à une représentation basique, le film néglige le contexte historique où la France pratiquait l’esclavage dans ses colonies. Il passe ainsi à côté de la complexité créole, qui allie violence et histoires humaines surprenantes. La scène émouvante où une mère esclave est séparée de son enfant ne doit pas faire oublier que, selon l’histoire, elle a pu accompagner son fils en métropole, avec le consentement de l’épouse du propriétaire. La couleur de peau n’a pas empêché le Chevalier de Saint-Georges de s’élever au sein de la Cour, grâce à sa détermination et au combat de son père pour lui assurer la meilleure éducation de l’époque.

Hier comme aujourd’hui, le plafond de verre

Le film “Chevalier” met en lumière le fameux « plafond de verre ». Malgré son immense talent et le soutien de la reine Marie-Antoinette, le Chevalier de Saint-Georges fut rejeté de la direction de l’Académie de musique et de danse, qui deviendra l’Opéra de Paris, à cause d’une virulente campagne de dénigrement raciste. Ce plafond de verre, qui avait déjà entravé l’ascension sociale du Chevalier, demeure un obstacle persistant pour de nombreux talents originaires des territoires d’Outre-mer.
Le film souligne des moments clés de sa vie, tout en omettant d’autres aspects fascinants, tels que son duel au fleuret avec le chevalier d’Éon ou le fait d’être le premier franc-maçon afro-caribéen. L’un des moments forts du film est la compétition entre le Chevalier et Christoph Glück pour la direction de l’Académie. Favori de la reine, le Chevalier se heurte à une hostilité raciste, symbolisant la barrière invisible du plafond de verre. Même accepté et populaire à la Cour, un métis descendant d’esclaves se voyait refuser l’accès à des postes de direction stratégiques, une réalité qui reflète une discrimination toujours présente de nos jours. Ce plafond de verre, qui avait jadis brisé les ambitions du Chevalier, continue de limiter l’avancement de nombreux talents issus des Outre-mer, illustrant ainsi une double peine pour des Français souvent considérés à part.

Un chevalier privé de salle…

Le biopic “Chevalier” offre, grâce au talent de son acteur principal, un portrait émouvant de ce personnage emblématique du siècle des Lumières. Il met en lumière les défis qu’il a dû relever dans une société inégalitaire et hiérarchisée. Le film illustre l’aspiration du Chevalier à changer les mentalités, anticipée par son amitié avec Philippe d’Orléans, dit « Philippe Égalité ». Pourtant, malgré ces qualités, « Chevalier »n’a eu droit qu’à une sortie discrète directement sur Disney +.

Cette décision interroge : pourquoi un film distribué par Fox Searchlight n’a-t-il pas été diffusé en salles en France ? La réponse semble liée à des facteurs économiques et commerciaux. Disney et Searchlight Pictures, confrontés à la difficulté de définir une politique éditoriale pour de telles productions, ont opté pour une diffusion sur Disney +, doutant de son succès en salle. Selon l’Agence K’s, spécialisée en marketing et communication pour l’Outre-mer, cette décision révèle un manque de stratégie marketing adaptée aux publics Afro-français, Afro-européen et des communautés des outre-mer. Cette omission signale une méconnaissance des nuances culturelles de ces segments, manquant ainsi une occasion cruciale d’atteindre un public réceptif.

L’histoire de la France des outre-mer au cinéma, un enjeu politique

On se questionne sur la possibilité de voir des films biographiques ambitieux sur des figures telles que Louis Delgrès, Edmond Albius, ou Felix Eboué, ou des productions sur les dissidents de la Seconde Guerre mondiale. Ces histoires soulèvent des questions politiques sur la représentation des personnalités des Outre-mer dans le passé et le présent.

Heureusement, le cinéma français évolue, notamment grâce aux réalisateurs des Outre-mer. Le prochain biopic de Frantz Fanon par Jean-Claude Flamand-Barny est attendu. Son succès pourrait marquer l’avènement d’un cinéma historique célébrant le patrimoine des Outre-mer et leur contribution à l’histoire de la France.

Le chevalier de saint Georges : L’histoire de France sous-traitée - Le Billet de Frédérick Sigrist sur France Inter

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